Justice n’est toujours pas rendue pour les massacres de l’ouest de la RDC
Published: 17 Dec 2019
By: Thijs Van Laer
Il y a exactement un an, des centaines de personnes étaient massacrées à Yumbi, dans la partie occidentale de la République démocratique du Congo. Les 16 et 17 décembre 2018, des assaillants ont ciblé des membres de l’ethnie Nunu de façon délibérée et organisée. L’attaque a duré moins que 48 heures mais a laissé la région dans un état chaotique.
Alors que l’attention s’est à nouveau concentrée sur l’est de la RDC, en particulier sur les troubles provoqués par les tueries autour de Beni et sur le virus Ébola, beaucoup semblent avoir oublié ce qu’il s’est passé dans cette zone isolée, située à environ 300 km au nord de Kinshasa, la capitale.
Pourtant, dans la région de Yumbi, ces attaques sont loin d’être oubliées. Les victimes ont beaucoup de mal à reprendre le fil de leur vie et à reconstruire leur communauté. De nombreux survivants interrogés par International Refugee Rights Initiative (IRRI) ont déclaré qu’ils connaissaient les responsables ; pourtant personne n’a été condamné à ce jour, ni pour l’organisation ni pour l’exécution des massacres. Cela rend toute réconciliation entre les communautés extrêmement difficile.
Que s’est-il passé ?
Les massacres trouvent leur origine dans l’enterrement d’un chef coutumier de la communauté Nunu, le 14 décembre 2018 à Yumbi, qui a été perçu comme une provocation par la communauté Tende. Cela fait des décennies que les deux groupes sont en compétition pour les terres, l’autorité et les moyens de subsistance. Le 16 décembre, des groupes organisés de Tende ont attaqué des Nunu dans la localité de Yumbi, et le lendemain dans les villages voisins. Certains agresseurs étaient munis d’armes à feu et portaient des habits militaires.
D’après une enquête de l’ONU, plus de 535 personnes ont été tuées. Beaucoup ont été brûlées vives lorsque leurs maisons ont été incendiées, d’autres ont été tuées alors qu’elles tentaient de s’échapper. Des cadavres ont été démembrés et éventrés. Certains Nunu ont commis des crimes en représailles. Une survivante, qui a perdu trois enfants et une bru lors des attaques, a rapporté à IRRI qu’elle avait entendu un assaillant en uniforme militaire lancer : « Notre mission, c’est de tuer les Nunu. Si nous leur tirons dessus et qu’ils ne sont pas encore morts, vous devez les achever à la machette. »
Il ne s’agit pas là d’une explosion spontanée de violence intercommunautaire. Des chefs locaux ont organisé, soutenu et incité ces violences, comme cela avait déjà été le cas par le passé. Certains Tende ont alerté leurs voisins Nunu. Les autorités supérieures n’ont pas réagi, même après le meurtre de plusieurs militaires et fonctionnaires. Après avoir mené sa propre enquête sur les événements, le gouvernement a déclaré que les autorités provinciales auraient dû prendre des mesures pour prévenir la violence. Le gouverneur de la province de Mai-Ndombe d’alors a été mis en cause, mais il est devenu depuis gouverneur de Kinshasa – un avancement pour sa carrière politique, mais un camouflet pour les victimes. Les relations entre les membres de la communauté Nunu et le gouvernement provincial actuel demeurent difficiles à cause de l’incapacité de ce dernier à les protéger pendant les massacres.
Il y a eu plusieurs vagues d’arrestations de personnes suspectées d’être impliquées dans les tueries, mais leur procès n’a pas démarré. Le parquet militaire a affirmé qu’il manquait de moyens pour poursuivre ses enquêtes judiciaires, mais beaucoup suspectent que le retard a des causes politiques. Une fois de plus, les rouages de la justice tournent trop lentement en RDC. C’est pourquoi il est important que la mission de l’ONU, la MONUSCO, et d’autres entités observent et appuient les procédures.
Que peut-on faire ?
La justice reste plus importante que jamais, alors que de nombreuses personnes se battent pour reconstruire leur vie, leur foyer et le tissu social de leur communauté. Des centres de santé, des établissements scolaires et des bateaux de pêche ont été détruits, et les efforts pour les remplacer ou les reconstruire n’ont pas été menés jusqu’au bout. Les personnes déplacées étaient réticentes à revenir ; lorsqu’elles l’ont fait, elles ont eu des difficultés à reprendre le cours de leur vie. Même si la présence militaire continue assure la sécurité dans la plupart des villages, beaucoup d’habitants ont peur d’aller travailler dans leurs champs. C’est là que la plupart des massacres ont eu lieu ; et à la source des violences, on trouve des litiges fonciers.
Davantage d’efforts seront nécessaires pour convaincre les gens de reprendre leur place dans la société. Il faudra que le gouvernement du président Tshisekedi fasse preuve de détermination dans la lutte contre l’impunité. Comme l’a déclaré à IRRI une infirmière qui a soigné de nombreuses victimes, « avant tout, il faut que la justice fasse son travail, sinon, aucune solution ne sera possible ».
Le procès des suspects actuellement détenus devrait avoir lieu rapidement et être complété par d’autres poursuites judiciaires contre les instigateurs et organisateurs des violences. Des crimes qui pourraient constituer des crimes contre l’humanité ne peuvent pas rester impunis.
Étant donné que de nombreux auteurs des violences vivent tout près des victimes, les poursuites devant la justice nationale devraient être complétées – dès que les différentes communautés se disent prêtes – par des formes locales de justice transitionnelle débouchant sur la recherche de la vérité, la réconciliation et la compensation des victimes. Les autorités devraient accomplir davantage d’efforts pour reconstruire les services sociaux et le tissu social de Yumbi. Si elles ne le font pas, cela ne fera qu’augmenter le risque que la violence explose à nouveau.
Thijs Van Laer est directeur de programme pour la prévention et la résolution du déplacement, chez International Refugee Rights Initiative (IRRI) en Ouganda. Il est l’auteur d’une analyse sur Yumbi, basée sur des enquêtes de terrain, publiée par le Groupe d’Etude sur le Congo (GEC) en avril 2019.