RDC : l’Église se dresse face à Kabila
Published: 5 Jan 2019
By: Thijs Van Laer
Source: Explicite
En RDC, l’Église catholique affirme “que les données en sa possession […] consacrent le choix d’un candidat comme président de la République”. Quand les voix du seigneur soufflent le nom du futur président.
C’est une véritable bombe qu’ont larguée les dignitaires de l’Église catholique du Congo ce jeudi. Fort de ses 40 000 observateurs envoyés pour suivre les élections du 30 décembre dans des bureaux de vote, l’Église a décidé de se mêler des affaires de l’Etat. Gare à ceux qui seraient tentés de magouiller ou de trafiquer les urnes ; elle dit connaitre le nom du vainqueur !
Témoin de la confusion du pouvoir, la Commission électorale, qui aurait dû publier les résultats ce dimanche 6 janvier, a finalement encore reporté l’annonce “à la semaine prochaine” sans donner plus de précisions. Les réactions des différents candidats détermineront si le pays peut accomplir son premier transfert pacifique du pouvoir, ou si une violence généralisée marquera de nouveau ce pays, qui en a déjà connu trop ces dernières décennies.
Néanmoins, le fait qu’une institution religieuse dise savoir qui a gagné l’élection présidentielle, avant même que les résultats officiels soient publiés, aurait de quoi étonner. Dans un pays occidental peut être, mais pas en RDC, ou près de 40% de la population est catholique et où l’Église a joué un rôle de premier plan au cours de toutes les étapes politiques du pays. C’est elle qui a poussé les autorités congolaises à organiser ce scrutin, et qui veut maintenant les forcer à respecter le verdict des urnes. L’Église comme garante des institutions !
En toute logique, les élections auraient déjà dû avoir lieu en novembre 2016. Mais comme dans d’autres pays de la région, le président Joseph Kabila a essayé de rester au pouvoir, en faisant “glisser” les dates du scrutin. L’Église et d’autres mouvements ont alors essayé de mobiliser leurs membres contre ses manœuvres. Tentatives à plusieurs reprises réprimées dans le sang.
À en croire l’Église, Fayulu aurait gagné
Mais cette pression, combinée à celle des autres acteurs nationaux et internationaux, a fini par porter ses fruits. Le 30 décembre, des élections présidentielle, législatives et provinciales ont finalement eu lieu. Certes après une semaine de retard, à cause de problèmes logistiques et encore pas dans tout le pays. Dans trois régions, deux à l’est et un à l’ouest du pays, la très contestée Commission électorale a retardé le scrutin, évoquant l’insécurité. Les nombreux électeurs à Beni et Butembo, touchés aussi par une épidémie d’Ebola, ont néanmoins fait preuve d’un esprit démocratique remarquable : malgré les atrocités qu’ils continuent de subir, et malgré une désillusion dans leurs leaders, ils ont organisé leur propre scrutin, emporté évidemment par un candidat de l’opposition.
Après une vaine tentative d’unification autour d’un seul candidat, deux opposants sont restés en lice : Martin Fayulu, un homme d’affaires soutenu par quelques poids lourds de la politique écartés de la course, et Félix Tshisekedi, fils d’un opposant légendaire. D’après des sources du New York Times, l’Église semble indiquer que Fayulu est le gagnant devant Emmanuel Ramazani Shadary, le “dauphin” de président Kabila, sous le coup de sanctions de l’Union Européenne pour son rôle dans la répression. Un résultat qui serait en accord avec les sondages réalisés avant les élections.
Que veut cacher le pouvoir ?
Jusqu’au bout, le bras de fer entre Bruxelles et les autorités aura duré. En réaction aux renouvellement de ces sanctions européennes, le représentant de l’UE, sous pression, a dû quitter Kinshasa, la capitale, la veille du scrutin.
Il n’était pas le seul à être empêché de suivre les élections dans le pays : plusieurs missions d’observation n’avaient pas reçu l’autorisation ; des journalistes et chercheurs ont été bloqués ; et après le scrutin, le gouvernement a coupé Internet et les ondes de Radio France Internationale. Shadary était soutenu par une vraie machine de campagne avec un accès aux ressources d’Etat, alors que les candidats d’opposition faisaient face à l’obstruction et la violence à l’encontre de leurs partisans.
Une question demeure et habite les observateurs sur place. Que cherche à cacher le gouvernement sortant ? Tout le long de la journée du scrutin, j’ai reçu, par Twitter et WhatsApp, des messages et images qui démontraient le désordre. Des machines à voter en panne, de la pression sur les électeurs, des bureaux de vote fermés, des listes électorales problématiques, des bulletins en faveur de l’opposition jetés… Malgré la détermination des électeurs, le vote était chaotique, voire empêché. Seul la Commission électorale et le président Kabila se disaient satisfaits après cette confusion généralisée.
En 2011, Kabila avait entamé son dernier mandat présidentiel — la constitution lui interdisait de se représenter — à l’issue d’un processus tout aussi chaotique. Alors que j’étais à Kinshasa juste après ces élections, beaucoup de diplomates les critiquaient, mais disaient ne pas savoir si Etienne Tshisekedi — le père de Félix — avait réellement gagné. Cette-fois ci, l’Église a augmenté la pression, en disant qu’elle sait. Ces prêtres, présents au fin-fond du pays — où Shadary dit compter remporter la victoire —, connaissent la frustration de la population à cause du manque de progrès depuis des décennies. Et ils savent comment des conflits incessants, souvent stimulés par des hommes politiques, ont détruit le tissu social.
Remake africain du tour de passe-passe Poutine/Medvedev
L’Église comme les Etats-Unis, l’Europe et l’Union Africaine ont appelé la Commission électorale à publier des résultats “conformes au vote”. Sinon, elle prévient que c’est elle qui le fera ouvrant la porte à l’inconnu. Si l’Église annonce publiquement la victoire d’un candidat de l’opposition, les acolytes de Kabila risquent d’avoir peur de tout perdre et de contester le résultat, y compris par la force. Depuis jeudi, les attaques des pro-Kabila contre l’Église montent, parlant “d’intoxication de la population” ou de “viol de la Constitution”.
Si en retour la Commission contredit l’Église et annonce la victoire de Shadary, on peut craindre que beaucoup de jeunes descendent dans les rues. Les citoyens congolais seront privés du premier vrai transfert de pouvoir démocratique en RDC depuis son indépendance en 1960. Car si Shadary a été choisi par la présidence comme dauphin, c’est bien parce qu’il est facile à contrôler. Kabila, qui reste sénateur, garderait la main sur les gros dossiers. Lui-même et ses aides n’en font pas un secret. Il resterait impliqué dans la gestion de son pays et être tenté de revenir au premier plan aux prochaines élections de 2023, dans un remake africain du tour de passe-passe Poutine/Medvedev en 2009 ! La rumeur courant qu’il pourrait même continuer à occuper le palais présidentiel.
Dans tous les scénarios, les risques d’une détérioration de la situation continuent de planer, tel un nuage noir, au-dessus de cette période post-électorale, marquée en même temps par un dynamisme des citoyens. Ce qui est sûr, c’est que la décision de la Commission électorale sera décisive. Avec l’Église, les pressions s’organisent pour forcer le pouvoir à respecter le verdict des urnes et à renoncer à la violence. Les chancelleries et les ONG ayant peu de temps pour peser afin d’éviter un embrasement du pays.
Publié initialement par Explicite